Pourquoi le Mucem a-t-il choisi de s’intéresser au naturisme pour cette nouvelle exposition ?
Amélie Lavin : Le naturisme est un phénomène de société contemporain qui connaît depuis quelques années un vrai renouveau, notamment en France, première destination touristique au monde pour les naturistes. Les littoraux du Sud, notamment les bords de la Méditerranée, attirent particulièrement celles et ceux qui sont à la recherche d’espaces de nature préservée pour libérer leur corps de toutes formes de contraintes. Ôter ses vêtements est un geste de libération, une utopie de retour à une vie plus essentielle, en symbiose avec la nature et le vivant. Pour un musée de société comme le Mucem, il paraissait évident et nécessaire de se pencher sur ce fait de société et sur son histoire, d’autant que ce sujet est totalement inédit en France, où jamais aucune exposition n’a encore été organisée autour de ces questions.
Qui étaient les premiers naturistes ? Comment cette pratique a-t-elle évolué ?
A.L : Les premiers naturistes, contrairement à ce qu’on imagine, étaient médecins et avaient en commun un rejet de la vie urbaine et de l’industrialisation foudroyante subie par l’Europe pendant le 19e siècle. Le naturisme est d’abord une pratique thérapeutique qui invite à fortifier son organisme au contact des éléments naturels : bain d’eau, air pur, exposition au soleil, alimentation végétale et soins par les plantes. La nudité n’en est qu’une des composantes, on se déshabille peu à peu pour profiter au mieux des bienfaits offerts par la nature, on modèle son corps en faisant du sport en plein air, on ne mange pas de viande, on ne boit pas d’alcool. Le végétarisme et l’hygiène de vie sont vraiment des éléments essentiels dans les tout premiers cercles naturistes en Allemagne, en Suisse, puis en France. Peu à peu, la nudité intégrale s’expérimente puis s’installe. La dimension médicale et un peu austère des débuts laisse place à des pratiques plus hédonistes : le plaisir du soleil sur la peau, la liberté totale, sans contraintes, dans des petits paradis de nature.
L’exposition s’attarde sur plusieurs communautés naturistes françaises. Qu’est-ce qui les caractérise ?
A.L : Ce qui est intéressant avec l’histoire des naturismes en France, c’est qu’elle s’est construite entre les deux guerres, dans un pays où la nudité était marquée par la honte et la censure du corps nu, contrairement à l’Allemagne, par exemple, où la Freikörperkultur, la « culture du corps libre », s’est ancrée dans les mœurs dès la fin du 19e siècle. Puisque montrer son corps dénudé était inconcevable, il fallait inventer des lieux clos pour se protéger des regards : les premières communautés se sont créées dans des châteaux privés, ou sur des îles. Il fallait aussi construire des réseaux d’adeptes et débattre, communiquer, pour faire accepter ces nouvelles formes de pensées et de vie. Chacune des communautés sur lesquelles nous nous attardons dans l’exposition a joué un rôle essentiel dans l’histoire des naturismes français et européens. Chacune, grâce à la personnalité de ses pères et mères fondateurs, a inventé « son » naturisme, contribuant à forger des pratiques diverses plutôt qu’un naturisme uniforme et monolithique.
En quoi le rapport au corps et à la nudité est-il différent selon les pays en Europe ?
A.L : Tous les pays d’Europe n’ont pas le même rapport à la nudité, ni les mêmes juridictions. En France, si le délit d’atteinte à la pudeur n’existe plus depuis 1994, il a été remplacé par un délit d’« exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui ». De fait, il reste interdit de se montrer nu dans tous les espaces publics, sauf, justement, dans certains lieux soumis à autorisation comme les campings ou plages naturistes. Même chez soi, la nudité n’est « légale » que si l’on reste caché aux regards extérieurs. Au contraire, depuis quelques années, voire quelques décennies, plusieurs pays d’Europe, comme l’Allemagne, l’Espagne, la Suisse, la Grande-Bretagne, ont vraiment dépénalisé la nudité, en la différenciant clairement de l’exhibition sexuelle lorsqu’elle est pratiquée dans des lieux comme les parcs, les bords de rivière, les forêts, les plages – ou même des espaces privés, comme sa maison, son balcon ou sa voiture… Dans les pays scandinaves également, et de longue date, la nudité est possible partout, sauf là où elle est expressément interdite. Exactement l’inverse de la loi française, qui juge la nudité comme forcément sexuelle, et donc répréhensible, partout où elle n’est pas explicitement autorisée.
Cette exposition est-elle interdite aux mineurs ?
Absolument pas ! L’exposition ne montre rien de pornographique, ni rien d’explicitement sexuel, elle n’a donc pas de raison d’être interdite aux mineurs. Notre objectif est justement de déconstruire les idées reçues et stéréotypes sur le naturisme, qui est d’abord une philosophie de vie, une pratique familiale réunissant des gens de tous âges et de tous milieux, qui cherchent à vivre avec simplicité au contact de la nature. La question de la sexualité n’est pas plus centrale dans les milieux naturistes qu’ailleurs – sauf à Agde, où certaines communautés libertines se sont développées autour de lieux hypersexualisés que nous évoquons brièvement, mais sans montrer d’images.
Bien sûr, nous avertissons tous les publics que de nombreux corps entièrement nus sont visibles dans l’exposition. Chacun pourra donc choisir en toute liberté de venir découvrir, seul ou en famille, la joyeuse aventure de la liberté naturiste.
Rédaction : Sandro Piscopo pour le Mucem
Sauvegarde en cours...